Discussion avec un terrien repenti...

Discussion avec un terrien repenti...

 

Mon interlocuteur restera anonyme, puisque même s'il est retraité, la honte d'être, d'avoir été agriculteur, ne le quitte plus... Nous l'appellerons donc Fernand.
Certes, il fait partie de ces nobles paysans, au visage buriné, qui jadis travaillaient encore la terre en la respectant, en ne lui demandant pas plus que ce qu'elle pouvait donner, et au rythme des saisons...
Mais il se sent coupable... Coupable d'avoir hurlé avec les loups, d'avoir levé le poing dans ces meetings d'agriculteurs, d'avoir "pris sa carte" de la confédération paysanne de l'époque, et enfin de s'être laissé convaincre que l'avenir de sa profession était dans la culture toujours plus intensive, l'emploi de produits sur la dangerosité desquels, il a dû fermer les yeux.

Presque a t-il le sentiment d'avoir fait partie d'une sorte de mafia, qui pour acheter son silence le sponsorisait à grand renfort de "récompenses", qui réclamaient en contre-partie des commentaires élogieux, mais nous le savons désormais... Mensongers. 

Dans ses yeux larmoyants, j'ai eu l'impression de voir le regard d'un assassin repenti, et ayant besoin de libérer sa conscience...

Voilà donc qu'il m'invite à entrer dans la pièce principale de sa ferme inexploitée depuis longtemps, il quitte ses sabots, la télévision est allumée sur les informations...
Je reconnais cet engin que l'on dit "cathodique", qui autrefois faisait la fierté de l'industrie française, et que mon grand-père regardait autrefois...
Point d'écran plat ici...

Sur l'antique cuisinière à bois, fume une cafetière en fer-blanc, lâchant des odeurs de chicorée... Je retombe presque en enfance... Les souvenirs de gosse surgissent dans mon esprit...
En tout cas c'est certain, le modernisme s'est arrêté dans la cour de la ferme, ou encore Fernand l'a t-il volontairement banni de sa vie, comme pour s'excuser peut-être...

Après m'avoir servi le café brûlant dans un verre transparent, l'homme se confie, se confesse même, et c'est moi son confesseur...
Il m'explique qu'autrefois, les paysans vivaient au rythme des saisons, se référant pour semer, planter, labourer, aux signes de la nature... 
Pas besoin d'ingénieurs en météorologie, dont on sait d'ailleurs qu'ils se trompent souvent...
Un nid de pies haut perché ? Une hirondelle qui volait bas ? Une gelée du matin particulière ? Autant de signes bien plus fiables que n'importe quel satellite, et auxquels certains anciens se réfèrent encore avec succès de nos jours...

Il regrette bien entendu ce temps, temps béni où l'on traitait les produit de la terre, fruits, légumes, céréales fourragères, avec des produits me dit-il si naturels, que l'on aurait pu les boire en infusion... Pulvérisés avec la "pompe à dos" en cuivre, dont on peut encore trouver quelques exemplaires chez les brocanteurs, et non avec des rampes de plus en plus larges, à l'arrière de tracteurs de plus en plus imposants, et obligeant le conducteur à porter des tenues de cosmonautes, dans sa cabine pourtant climatisée et à l'air ambiant, soi-disant filtré...

Fernand tout en soufflant sur son café, soupire, juste avant de reprendre ainsi son propos...
_"Vois-tu petit, à l'époque, je n'ai pas bronché, aveuglé par l'appât du gain... Aujourd'hui, je regrette ! Mais il est bien trop tard... La terre, ma terre se meurt... Ma terre se venge !"
Je réponds que je le trouve excessif, mais il continue à m'expliquer le pourquoi des pollutions diverses... Des nappes phréatiques empoisonnées définitivement, par les restes de pesticides, qui confèrent aux légumes une couleur et un aspect parfait, quelle que soit la saison, et que le consommateur conditionné, apprécie au plus haut point ...
_"On trouve des fraises à Noël !" Me dit Fernand...

Puis il me parle de la course frénétique au "toujours plus de culture", phénomène assassin qui a poussé, au seul motif du profit, les paysans crédules ou avides comme le fut Fernand, à gagner du terrain pour quelques tonnes supplémentaires de légumes, fruits, ou céréales... 
Et ce, en supprimant les haies, en comblant de minuscules ruisseaux ou "rigoles de terrain", comme il me dit, dont on ignore jusqu'à l'existence et le nom sur les cartes régionales, mais qui coupaient paraît-il les terres en deux, constituant une irrigation naturelle, et permettant lors des crues qui ont toujours existé selon lui, d'éviter les débordements des rivières plus importantes, de les canaliser, en leur prenant un peu de leurs flots tumultueux...

Et ces haies me direz-vous, disparues de nos jours ? Fernand m'affirme, qu'elles aussi constituaient des barrages en cas d'inondation... Certaines espèces animales y construisaient leur logis, réalisant ainsi ce que les anciens appelaient des "fourrés"... 
Mieux encore ! Les paysans connaissaient les plantes qui constituaient ces haies, ces barrières naturelles, et se faisaient un devoir de les entretenir du mieux qu'ils pouvaient...
Fernand me donne en exemple les Landes où il a encore un frère...
_"Si le sable n'a pas envahi la totalité des Landes... C'est que les pins sont là pour le retenir ! Rien n'est dû au hasard petit ! Les haies les barrages naturels existent depuis la nuit des temps, et on connaît parfaitement leur utilité... Le fait de les avoir arrachées est une hérésie !"

La terre fut un temps, était respectée, chouchoutée, aérée, labourée avec attention, et lors de périodes définies par le calendrier lunaire...
Les tracteurs les plus modernes, avaient la taille de grosses camionnettes, au contraire de ceux d'aujourd'hui, plus voisins des bulldozers de chantiers publics, que d'engins agricoles... Ceux-là même qui martyrisent le sol, le tasse toujours plus et forment sur plusieurs mètres en surface, un amalgame de terre compacte, bourrée de pesticides et produits nocifs, exempt du moindre ver de terre, cet animal qui est pourtant un merveilleux allié naturel et vivant du paysan intelligent...
Et cette terre tassée à outrance devient perméable à la pluie, qui n'a d'autre choix que de grossir les fleuves, les fossés et les réserves d'eau, car ne pouvant plus atteindre les nappes profondes...

_"Voilà la réalité des choses" rajoute Fernand.
_"Et je me rends compte qu'à un moment de mon existence, j'ai fait partie intégrante des bourreaux de notre belle planète bleue... Je n'ai pas écouté les conseils de mon père, ses mises en garde, ses inquiétudes... Je le regrette aujourd'hui, et ma punition sera de regretter mes actes jusqu'à ma mort, même si le mal est fait et irréversible, et de regarder dépérir les générations futures..."

Fernand se leva alors, sa confession étant terminée. Juste avant que je ne rejoigne ma voiture, il m'invita à visiter derrière sa ferme, son "potager à l'ancienne"... Un grand carré de terre, travaillé comme au siècle dernier, au rythme des saisons, sans outils sophistiqués, et sans produits chimiques...
Il m'avoua alors, cultiver bien plus que pour sa consommation personnelle, et faire don de son surplus de légumes, à tous ceux qui n'étaient pas rebutés par la "mocheté" de leur aspect... 
Paraît-il, qu'ils seraient de plus en plus nombreux à venir...
Je fis alors remarquer à Fernand, qu'il œuvrait sans le savoir, modestement certes, à réhabiliter la noble culture paysanne d'antan...
S'investira t-il davantage dans cette "mission", je l'ignore, toujours est-il que lorsqu'il me donna mon panier bio à emporter, son visage rayonnait et était barré d'un large sourire...  

 

 

Dyonisos.

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Commentaires: 1
  • #1

    Montijn33 (dimanche, 28 janvier 2018 12:34)

    Diantre ! Il est habité par un sentiment de culpabilité très fort et pourtant il n'a fait que suivre les conseils soit disant avisés des politicotechniciens agricoles qui ne juraient que par la production de masse. Fortement aidé en cela par les banques qui ne donnaient de l'argent à investir que si le brave paysan démontrait qu'il allait demain produire davantage. Alors quand tu reverras Fernand dit lui bien que les principaux ne sont pas les paysans eux mêmes mais surtout et principalement les conseillers "éclairés" par la lumière de l'avenir qu'ils croyaient être : "produire plus pour gagner plus"; tiens, on l'a déja entendu celle-là...Un politicien ? Et homme d'affaire de surcroît. Pas étonnant n'est-ce pas ? Allez Dionisos, va réconforter ce brave homme qui au minimum mérite notre compassion.
    Salutations "intensives".